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Article de Presse/Alès : condamné à 15 ans pour viols sur sa nièce, pourquoi l’accusé sort de prison un an après ?

article du Midi Libre publié le 09/02/2021 à 11:50 , mis à jour le 11/02/2021

"Jacques Cviklinski, condamné en mars 2020 à quinze ans de réclusion en appel pour viols sur sa nièce, Jessika, est sorti de prison pour un état de santé incompatible avec son maintien en détention. Une décision qui suscite la colère de Jessika après treize ans de combat judiciaire. (...).

Jessika, quel est votre sentiment après ce nouvel épisode judiciaire ?

Lors de la demande d’expertise médicale, nos avocats ont demandé qu’elle ne soit pas réalisée par un médecin de la région marseillaise, afin d’éviter qu’elle soit faite par une connaissance de Jacques Cviklinski.

Fâcheusement, un médecin de La Timone a été désigné, or c’est un hôpital où mon oncle a exercé. Ce médecin expert appartient à un service qui est dirigé par un professeur avec qui mon oncle a mené une action au Lions Club de Marseille, et cela avec un troisième médecin de ce même service. Ils ont tous les trois tenu une conférence au Lions pour l’occasion, en 2016.

Le troisième médecin (qui n’est pas l’expert) a fourni une lettre de soutien à mon oncle lors du second procès d’Aix-en-Provence, en 2017. Dans cette lettre, il dit que Jacques Cviklinski, président du Lions Club, s’est beaucoup démené pour collecter un don qu’il a fait au service de chirurgie infantile et orthopédique du Professeur J., à La Timone, etc. La cour dit que l’intégrité du médecin expert ne peut pas être mise en doute.

Pourquoi cet expert a-t-il accepté d’effectuer l’expertise dans ces conditions ? Pourquoi n’avoir pas dépaysé cette expertise ? Là, je ne crois pas au hasard. Je demande aussi par qui et pourquoi l’accès à la salle des pas perdus a été interdit à la presse au premier procès d’Aix-en-Provence, en 2017. Pourquoi une personne qui assistait au procès s’est vue arracher les pages de son carnet de notes par un policier ? Je suis atterrée. Mon oncle est devenu président du Lions Club Lacydon de Marseille en 2015 et 2016, alors que la procédure était en cours depuis 2008, et, en 2016, devait avoir lieu son premier procès aux assises d’Aix-en-Provence.

Comment comprendre qu’après deux condamnations, à 12 ans, puis à 15 ans de prison ferme en appel, il soit toujours au bureau du Lions ? (L’accusé a décidé de se pourvoir en cassation NDLR). Est-il toujours inscrit à l’ordre des médecins ? Nous avons démontré qu’il bafouait son contrôle judiciaire en se rendant à l’anniversaire de sa loge maçonnique à Marseille, alors qu’il était à l’époque assigné à résidence en Corse.

Pourquoi cela n’a servi à rien ? Mon oncle, Jacques Cviklinski, est un criminel condamné pour viols incestueux, mais, ce qui ajoute au crime aujourd’hui, c’est qu’il arrive à s’extraire des différentes condamnations de la justice. C’est curieux de constater qu’en 2021, La Fontaine soit toujours d’actualité : "La justice et l’application de ses peines sont différentes selon qu’on est puissant ou misérable." Cela suscite dégoût et colère.

Quel regard portez-vous sur la justice ?

Les condamnations m’ont rendue confiante, elles m’ont apaisée. Je me suis battue, nous nous sommes battus pour une cause juste. La reconnaissance des violences qu’on a subies et de la gravité des faits a été réparatrice. Malheureusement, le processus judiciaire semble ne jamais pouvoir définitivement aboutir. Il fait un pourvoi en cassation. Il faut attendre encore, et recommencer peut-être un nouveau procès. Je voudrais plus que tout qu’on en finisse, et qu’il ne puisse plus nuire.

Pour cela, j’en viens à souhaiter qu’il meure des maladies qu’il dit avoir. Ce n’est pas normal d’en arriver là. Il semble avoir les moyens d’user de tous les recours possibles. Il n’arrêtera pas tant qu’il aura de l’argent, de l’entregent, et encore des recours. De plus, nous savons que la justice manque de moyens, or une personne comme lui fait reporter les procès à répétition, à la dernière minute, ou bien en cours. Combien cela coûte-t-il à la communauté, au détriment des autres affaires ? Quel coût psychologique, de santé et financier pour les victimes ?

Votre action en justice demeure-t-elle positive ?

C’est un élan vers la lumière que peuvent voir des victimes encore dans le silence. Mais le processus n’est pas terminé, j’attends de voir la suite. Pour l’heure, elle m’a libérée de l’emprise familiale. Elle a reconnu ce que mon oncle nous a infligé.

Cette reconnaissance est nécessaire pour se réparer, retrouver une dignité et une place dans la société. Mais l’action juridique ne suffit pas. Il faut pouvoir trouver de l’aide psychologiquement, par exemple. Pour tenir la route, il faut être solidement accompagné. C’est mon cas, je considère que j’ai beaucoup de chance. Quand ce processus arrivera à son terme, je pense qu’il sera riche d’enseignements. Il l’est déjà.

Quel témoignage faites-vous de votre combat ?

À 45 ans, j’ai parcouru un long chemin. D’abord isolée, abîmée, et en survie, j’ai cherché de l’aide et du soutien à l’intérieur de ma famille (parmi les personnes de ma génération) et aussi à l’extérieur, j’en ai trouvé. J’ai trouvé des personnes dotées de grandes qualités humaines, constantes, en qui j’ai eu confiance et qui ne m’ont jamais déçue.

Parmi elles, il y a mon avocat, Me Joanny Moulin. Il est payé par l’aide juridictionnelle pour mon affaire. À mes côtés depuis le début, il n’a jamais baissé la garde, disponible, réactif, compétent. Je ne me bats pas seule. Cependant, cette affaire est un dossier sur son bureau. Pour moi, c’est une part douloureuse de ma vie. Je veux pouvoir tourner cette page.

Je n’imaginais pas un tel combat, mais il est salutaire. J’encourage vivement les victimes à parler et à s’entourer pour se reconstruire et retrouver la liberté. Aussi, je souhaite que les événements de l’actualité lèvent enfin le tabou de l’inceste, c’est vital. Il faut se former, faire de la prévention très tôt, et protéger ceux qui signalent.

Tous les enfants, quelle que soit leur condition sociale, doivent être protégés dès leur naissance. Mon engagement, ma participation pour un changement de société, est visible dans le documentaire réalisé par Michèle Bourgeot et produit par Thierry Maisonnave.Sur le site Vimeo, un documentaire réalisé par Michèle Bourgeot, produit par France THM productions, intitulé “Une affaire de famille” relate le long parcours de Jessika Cviklinski, nièce de l’accusé, ainsi que son avocat, Me Joanny Moulin, membre de l’association “Parole d’enfant”. Contact : jessikalinski.uneaffairedefamille@protonmail.com

Me Moulin rappelle l’enchaînement des faits ayant conduit à la libération de l’accusé

Me Joanny Moulin, avocat de Jessika Cviklinski, revient sur "les trois épisodes" qui se sont conclus, le 11 janvier, par un arrêt de la chambre de l’instruction ordonnant la remise en liberté de Jacques Cviklinski.

Une décision motivée par le rapport de l’expert concluant que "l’état de santé de Jacques Cviklinski est incompatible avec son maintien en détention". Placé sous contrôle judiciaire, avec obligation de ne pas sortir du territoire national métropolitain, de s’absenter de son domicile, de remettre au greffe son passeport, Jacques Cviklinski vit actuellement à Marseille.

"Il y a eu trois audiences. Une demande de mise en liberté formulée par l’accusé disant que son état était incompatible avec une détention. Cela a été plaidé et je m’y suis opposé en disant que rien ne le prouvait. Et en expliquant surtout qu’il avait été pincé une fois en violation de contrôle judiciaire, en train de gambader dans les rues de Marseille alors qu’il avait comparu avec une espèce de fauteuil roulant devant la cour d’assises. Là, on avait gagné." 

Un premier refus qui n’arrête pas Jacques Cviklinski, puisqu’il entame une deuxième procédure, "une expertise cette fois-ci", souligne Me Joanny Moulin. "La cour a désigné un expert qui a rendu un rapport assez fourni, indiquant que son état actuel n’était plus compatible avec la détention. À cause du diabète, qu’il est en fauteuil roulant, qu’il est en train de perdre un œil, etc."

La cour procède alors à sa libération et renvoie sur une troisième audience, en janvier. Celle-ci devait décider "si on le plaçait sous contrôle judiciaire ; lui souhaitait partir en Corse ; nous souhaitions le bracelet électronique, sachant que son port ne peut aller au-delà de 2 ans et qu’il avait déjà fait 15 mois de bracelet pendant l’instruction. Il a donc été placé sous contrôle judiciaire à Marseille." 

Si Me Moulin "aurait préféré qu’il reste en prison" l’avocat évalue que "compte tenu de ce rapport d’expertise, le maintien en détention aurait été irrémédiablement censuré par la cour de cassation via l’article 3 de la déclaration des Droits de l’Homme. Mais le fait qu’il ait été mis sous contrôle judiciaire strict à Marseille, je ne suis pas si déçu que ça." 

Conscient de l’amertume des plaignantes, Me Moulin souligne qu’"il ne faut pas se tromper de combat : l’important, c’est la culpabilité. Je comprends qu’elles soient déçues et considèrent le fait qu’il sorte comme victorieux. Je peux l’entendre. Mais, techniquement, sur le dossier, en état du rapport d’expertise et dans l’hypothèse d’un pourvoi en cassation contre un arrêt de la chambre d’instruction qui aurait refusé la remise en liberté, la cassation aurait été certaine. La cour avait dit 15 ans et il n’a fait que deux ou trois années. Je comprends la dose d’amertume." 

Une libération via le rapport d’un expert que les avocats des parties civiles souhaitaient hors du ressort de la cour d’appel d’Aix, "dans la mesure où il est grand maître d’une loge maçonnique, ex-président d’un Lions Club, médecin ophtalmologue à Marseille et très introduit. La cour a répondu que le fait même d’être inscrit sur la liste des experts fait acte de probité ipso facto. La chambre a pourtant repris tous nos arguments. Je prouve que le médecin expert fait partie du service dont le chef a témoigné en faveur de Jacques Cviklinski. Que le second du service était en lien avec l’accusé. En revanche, je n’ai pu prouver que l’expert lui-même avait des liens directs avec l’accusé. Ils s’étaient beaucoup rencontrés dans le cadre d’action par le Lions Club, mais la cour disait que l’on ne pouvait suspecter la validité du rapport d’expertise."

par le journaliste STÉPHANE BARBIER

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